« Il est urgent de retrouver de la sérénité dans le débat sur la laïcité » (Tribune l’Obs, 9 décembre 2019)

A l’occasion des commémorations du 9 décembre – journée anniversaire de la loi de 1905 portant séparation de l’Eglise et de l’Etat – le philosophe Abdennour Bidar, dans un vibrant plaidoyer, défend une laïcité au service d’une république démocratique.

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La laïcité au premier plan des passions françaises

Tel est le contexte général qui explique que, après un siècle ou presque de sommeil tranquille, la question de la laïcité ait fait ces dernières années son grand retour au premier plan des passions françaises. Si elle s’est imposée peu à peu depuis l’affaire des foulards de Creil en 1989 en tête du hit-parade de nos débats intellectuels, politiques, médiatiques, c’est que notre société a vécu le « retour du religieux » d’une manière spécialement sensible, douloureuse, pour deux raisons au moins.

La première raison est la nature historique du « républicanisme » français. Celui-ci est presque constitutivement hostile à l’expression sociale des identités religieuses, et plus généralement de toute identité ou appartenance particulière qui oserait concurrencer dans le champ public sa volonté de ne voir « qu’une seule tête », à savoir celle du « citoyen » ne se définissant et ne jurant que par « l’universel » des valeurs de « liberté, égalité, fraternité ». La seconde raison est le conflit frontal de ce républicanisme français avec l’invasion culturelle d’une « démocratie libérale » d’inspiration anglo-saxonne qui a réussi ici également, en France, à persuader nombre d’esprits que toutes les identités sont légitimes à s’exprimer sans frein dans l’espace public, sans quoi le néosacro-saint « individu » est fondé à hurler à la stigmatisation et à la discrimination de sa non moins sainte « différence ».

Entre les partisans de ces deux visions de la société, dont les excès sont aussi intolérants l’un que l’autre, l’antagonisme est à présent total. Ils se déchirent en particulier au sujet de la laïcité, chacun revendiquant sa juste compréhension et accusant l’autre de l’avoir dévoyée. Les républicains accusent la laïcité d’être détournée de son sens lorsqu’elle menace à leurs yeux de se faire trop « démocrate », en devenant « ouverte » à l’expression publique du religieux sur le mode des « accommodements raisonnables » du Québec.

« Le champ de bataille de la laïcité » (L’Obs, 8 décembre 2017)

« L’arrêt récent de la Cour de Cassation relatif au port de signes religieux dans l’entreprise vient relancer le débat français. Cette décision confirme qu’une entreprise peut interdire à ses salariés d’afficher leurs signes d’appartenance religieuse mais à deux conditions : que le salarié ait un contact avec la clientèle, et que la règle d’interdiction figure explicitement dans le règlement intérieur. Les deux « camps » qui se sont formés ces dernières années sur le sujet de la laïcité auront bien sûr une interprétation diamétralement opposée : les uns se réjouiront au motif que la laïcité conquiert un nouveau territoire, les autres déploreront la timidité de la Cour. Ne peut-on pas se réjouir tout de même qu’enfin l’entreprise privée ne soit plus en position d’extraterritorialité vis-à-vis des principes et valeurs de la République ? Beaucoup de discussions en perspective, donc, autour d’une laïcité dont on peut déplorer qu’elle soit devenue ces dernières années en France un tel champ de bataille… »

« La laïcité ne doit pas devenir un tabou » (Le Monde, 22 octobre 2013)

« Pourquoi n’ai-je pas voté en faveur de l’avis rendu le 15 octobre par l’Observatoire national de la laïcité, dont je suis membre? Cet avis énonce que l’Observatoire ne se prononce pas en faveur d’une nouvelle loi, qui étendrait au secteur privé le principe de laïcité selon des modalités à définir. Une prudence excessive a prévalu quant à une « option législative » large visant l’ensemble du secteur privé. Il en a été de même, à un niveau plus restreint, pour les structures d’accueil de la petite enfance… cas de la crèche Baby-Loup, à laquelle je redis mon soutien.

« Baby loup : gare à ne pas couper la France en deux » (Le Monde, 28 mars 2013)

« Il convient de combler une vide juridique et de trouver la manière d’associer tout le monde, tous les espaces sociaux, secteur privé et service public, à cette responsabilité laïque. C’est par idéal républicain, et plus précisément par un souci libre de prendre sa part de responsabilité dans la promotion concrète de cet idéal, que la crèche privée Baby Loup s’est donné son règlement intérieur préconisant que ses personnels et son fonctionnement obéissent au principe d’une « neutralité philosophique, politique et confessionnel ».

« Il est urgent de mettre en œuvre une véritable pédagogie de la laïcité » (Le Monde, 20 décembre 2010)

« La République ne saurait se contenter d’imposer la neutralité par la seule loi. Pourquoi la laïcité républicaine éprouve-t-elle aujourd’hui tant de difficultés à se faire respecter dans les différents espaces publics ? Pourquoi notre République semble-t-elle désormais contrainte à garantir ce respect en multipliant les lois d’interdiction ? Pourquoi ce même respect de la laïcité doit-il être défendu par des décisions de justice, comme dans l’affaire récente de la crèche de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) ? La question de la laïcité ressemble de plus en plus à une nouvelle version de la « guerre des deux France ». L’Etat républicain semble en effet entraîné malgré lui dans une logique d’affrontement avec une forme de guérilla fondamentaliste qui pratique la provocation, le harcèlement, la pression diffuse et multiforme, en testant sans relâche les défenses de la laïcité.