Face à l’afflux de demandes de toutes celles et de tous ceux qui me disent qu’il faut que ma voix porte plus, j’ai décidé de créer ce site. Aujourd’hui, je l’inaugure par le texte qui suit. C’est un appel à la mobilisation collective face à la barbarie terroriste qui vient de frapper Paris le vendredi 13 novembre. Dans ce texte, je développe le thème de la fraternité – comme je l’avais fait dans mon Plaidoyer pour la fraternité écrit après le 11 janvier 2015. Je persiste et signe : la fraternité est cette valeur inséparablement morale, sociale et spirituelle qui doit aujourd’hui nous rassembler tous.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à une barbarie qui usurpe le nom d’État islamique, alors que sa barbarie est la négation même de la grande culture humaniste de l’Islam. Celle-ci est aujourd’hui en grande souffrance, en déshérence, et elle doit d’urgence prendre conscience que ce cancer islamiste la menace de mort – comme il menace tous les pays et tous les peuples attachés à la liberté de conscience, à la démocratie, à la tolérance entre les visions du monde, à l’égalité des femmes et des hommes, à la fraternité sans frontières des cultures et des âmes, à la paix et à la justice sociale.
Ne nous laissons pas impressionner par ce qui vient de nous frapper. Ne nous laissons pas diviser mais restons unis, nous tous membres de la société française, tous citoyens et frères humains avant d’être musulmans ou autres ! Ne nous laissons pas terroriser par ce terrorisme qui nous tend le piège grossier de la peur et de la division. Ne tombons pas dans le piège de nous dresser les uns contre les autres, en écoutant les voix extrêmes qui voudraient nous faire croire que les musulmans de France sont l’ennemi de l’intérieur, et qui désignent plus largement les immigrés, les réfugiés, comme les responsables de nos problèmes de société. Daesh voudrait nous paralyser d’angoisse, nous faire paniquer et nous persuader d’un sentiment d’impuissance. Nos propres extrémistes voudraient nous écarteler en communautés et tribus irréconciliables.
Tout cela joue sur la peur. Galvanisons donc notre courage. Résistons à la peur en remplissant notre cœur d’indignation, mais aussi de détermination à agir pour faire vivre nos valeurs. c’est comme cela que dans nos âmes il n’y aura plus de place pour la peur. Que notre coeur et notre esprit soient déjà pris, déjà pleins d’un esprit de résistance et d’engagement. Non nous ne céderons pas à la peur, et nous aurons d’autant moins peur que les fous terroristes nous prennent pour cible. Leur haine doit renforcer notre conviction en ce que nous sommes : si nous sommes agressés par la haine, c’est que nous sommes la fraternité; si nous sommes agressés par le néant destructeur, le nihilisme, c’est que nous sommes la vie, la beauté, la justice et la paix. Mais nous sommes aussi le doute, l’esprit critique, la capacité d’autocritique. Et justement, c’est là-dessus que nous devons nous concentrer sans nous laisser détourner par Daesh. Nous avons ici, chez nous, tout un projet de société à reconstruire. Car ces valeurs que je viens d’évoquer et qui sont notre héritage ne sont pas en bonne santé. L’égalité ? La Fraternité ? Dans certaines zones de notre territoire ce sont de grandes idées devenues vides et menteuses. Il y a trop de sacrifiés dans notre propre société, trop de laissés pour compte. Tellement est à reconstruire ! Nos fractures sociales et culturelles, le vide du discours politique, le chômage de masse, etc. Tout cela nous oblige à commencer maintenant un énorme chantier de mobilisation et d’action collective. Tout cela va demander une puissante résolution, et c’est comme cela aussi, en nourrissant cette volonté d’agir, que la peur n’aura aucune place en nous-mêmes.
Dans mon Plaidoyer pour la fraternité, j’ai proposé pour cela un axe, une direction claire, qui peut nous rassembler tous avec nos différences et par-delà nos différences dans une véritable unité de cœur et d’engagement : la fraternité ! Ce n’est pas abstrait, ce n’est pas idéaliste ! L’homme ne naît pas fraternel, il le devient. Il le devient par l’éducation. Il le devient également à la condition de vivre dans une société qui lui apprend à vivre dans le partage et l’ouverture – alors que notre système livré à un capitalisme déréglé nous condamne si souvent au réflexe de l’égoïsme, de la rivalité ou de l’indifférence. Voilà le grand ennemi de notre vivre ensemble : un système qui confisque le profit dans les mains de quelques uns, alors que notre progrès est devenu capable de produire de la richesse en si grande quantité que la pauvreté devrait être impossible. La misère, la précarité, l’exclusion, ne sont plus des fatalités comme autrefois mais le résultat artificiel de nos égoïsmes.
Une vraie fraternité sociale et spirituelle, un véritable esprit de partage, tout cela se cultive en réformant à la fois nos âmes et nos systèmes. C’est une ambition inséparablement spirituelle et politique, éthique et sociale. Seuls les cyniques, les démoralisés d’avance, les indifférents repliés sur leur petit confort personnel, n’y croient pas. Mais leur nombre diminue. Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir la foi – une foi nouvelle, non religieuse, sans frontières, une foi humaniste capable de rassembler croyants et non croyants de tous bords – en une fraternité qui s’exprime concrètement, et se propage, dans la participation du plus grand nombre à tout ce qui resserre nos liens ! Tout ce qui nous rapproche ! Tout ce qui nous rend plus égaux ! Tout ce qui brise les logiques de ghetto ! Tout ce qui ouvre le regard et le coeur à l’intérêt général, au lieu de cet esprit borné qui n’est capable que de revendiquer ou de défendre les intérêts de sa propre communauté religieuse ou culturelle, que les intérêts de son propre groupe social !
Luttons ensemble pour tout ce qui comble le gouffre des inégalités, tout ce qui remédie aux replis identitaires et les discriminations, tout ce qui fait reculer le choc des ignorances entres cultures, tout qui promeut une éthique du respect, de l’acceptation et de la considération de l’autre. Luttons pour tout cela avec l’énergie du lion. Pour assumer notre propre responsabilité. Car c’est nous tous qui sommes responsables : d’avoir laissé se creuser autant les écarts inacceptables, injustifiables, entre riches et pauvres, d’avoir laissé l’extrême droite accaparer le discours sur la France, sur la laïcité, sur l’injustice sociale, et d’avoir laissé s’aggraver jusqu’à l’hystérie le gouffre entre nos musulmans et l’ensemble de la société !
Nous devons changer d’ère à partir de la conviction qu’il n’y aura plus de progrès social sans ce progrès moral et spirituel de la fraternité. Une fraternité investie chaque jour dans l’engagement de chacun là ou il est.
Créons pour cela sur tout le territoire, en particulier là où les gens se sentent abandonnés ou méprisés, encore plus d’associations à but solidaire et multiculturel. Et utilisons les réseaux sociaux comme plate-formes de rencontre entre ces associations et tous ceux qui veulent aujourd’hui s’engager ! Organisons, des la fin de l’interdiction de manifester, des rendez-vous dans chaque mairie, de la plus grande à la plus petite – ou sur les places publiques, entre ces associations et toutes les bonnes volontés qui voudraient les rejoindre.
Daesh ? L’islamisme ? Mais si nous sommes unis, convaincus de nos valeurs, solidaires et engagés, que pourront-ils alors contre nous ? Leur seule force de nuisance est la stratégie de provoquer la guerre entre nous… A cet égard, Daesh n’est que l’aspect le plus monstrueux d’une barbarie trop répandue aujourd’hui, et qui a un signe de reconnaissance : partout où elle est à l’œuvre, elle fait de l’homme un loup pour l’homme.
Daesh ? Ne nous laissons donc pas hypnotiser de terreur par ce serpent. Il sera fort si nous sommes faibles. Il a besoin pour s’alimenter de se nourrir de nos peurs, de nos divisions. Ne tombons pas dans son piège. Ne nous laissons pas détourner de notre objectif, de notre responsabilité. Restons focalisés et unis sur tout ce que nous avons à faire, tout le travail collectif qui nous attend pour resserrer nos liens, pour redonner à l’égalité sociale et à la fraternité une signification concrète. Œuvrons à restaurer la confiance de tous en nos valeurs, et pour cela le bénéfice de ces valeurs pour tous – sans sacrifiés. Commençons donc à les faire revivre partout où elles n’existent plus. Partout c’est-à-dire dans les zones sinistrées par le chômage, dans nos ghettos urbains, dans nos campagnes abandonnées… Sinon nous prenons le risque de fabriquer des terroristes en continuant à produire ici et là des gens tellement en rupture, et qui se sentent tellement exclus, tellement sans horizon social, tellement « sans foi ni loi » que certains de ces « égarés par le système » se diront tôt ou tard qu’ils n’ont plus rien à perdre au point d’entrer en guerre contre notre société.
L’ambition de la fraternité est à mes yeux inséparablement sociale, politique, morale et spirituelle. Spirituelle parce que la fraternité nous fait grandir en humanité, et que le spirituel commence là : dans tout ce qui nous rend plus humains, c’est-à-dire plus animés par un amour qui ne se limite pas à soi-même ni au cercle restreint de ses proches mais qui s’étend à l’humanité. Plus largement, la vie spirituelle c’est la qualité des liens : lien à soi, lien à autrui, lien à la nature et à l’univers. or le malheur de bien des individus contemporains est qu’ils sont coupés de ces liens nourriciers, de ces liens dans lesquels circule l’énergie de la vie, l’élan vital qui donne du courage, de la force, de l’esprit, de la créativité et de l’amour. Le lien à notre intériorité – se mettre à l’écoute de sa petite voix intime montée du cœur. Le lien de fraternité à l’autre – respect, altruisme, dialogue. Le lien à la nature – émerveillement, et le spectacle de la vie qui triomphe toujours de la mort. Sans ce triple lien, notre individualité est comme coupée de ses artères de vie. Elle se sent seule, et elle l’est. Elle est livrée à ses propres forces, qui s’épuisent année après année sans rien qui les régénère. Le triple lien, par rapport à cela, est fontaine de jouvence, éternelle jeunesse. Car ce qui vient de notre cœur nous inspire et nous exalte, ce qui vient de l’autre dans l’échange de dons nous revitalise, ce qui vient de la nature nous fait participer à une vie infiniment plus vaste et nous transporte ainsi au-delà de nos limites…
Quand je parle de fraternité, c’est tout cela que j’ai à l’esprit. Non pas un simple précepte moral. Mais une vertu qui s’inscrit dans une sagesse. La sagesse des liens de vie, que nous ont enseignés tant de nos héritages spirituels.
Cette fraternité serait utopique ? Idéaliste ? Impossible ? Seul l’impossible est à la mesure de notre humanité. Et de toute façon nous n’avons plus d’autre choix. Car nous vivons dans des sociétés scandaleusement inégalitaires. Dans des sociétés aussi qui sont toujours plus multi culturelles, où chaque jour celui qui n’a pas la même couleur de peau ni la même croyance ou culture que moi vit là, avec moi. Comment donc vivre en harmonie et en paix avec l’autre ? Le respecter ? Nécessaire mais insuffisant. Coexister ? Insuffisant. Le tolérer ? Insuffisant. Pas d’autre choix que d’apprendre à l’aimer, c’est-à-dire à me soucier de lui, de son bonheur autant que du mien, sinon nos univers vont s’éloigner jusqu’à la rupture et à la guerre, et tôt ou tard ce qui est sacré pour lui et ce qui est sacré pour moi vont s’affronter. Il suffira alors d’une étincelle, d’une situation sociale ou politique qui devient plus difficile. La puissance de l’amour est le seul juge de paix qui peut faire déposer les armes aux différents sacrés. Mais qui osera parler de fraternité et d’amour dans nos sociétés froides ? Osons le collectivement. C’est notre âme qui le réclame maintenant. Écoutons-la.