« L’islam au temps des pyromanes » (L’Obs, 23 mai 2018)

« Faut-il condamner sur la foi d’un bout de tissu, comme celles et ceux qui hurlent à la mort de la laïcité et de la République dès qu’un voile ou un burkini surgit là où on ne l’attend pas ? Revenons un peu sur cette énième affaire de voile qui agite la médiasphère. Maryam Pougetoux, une responsable du syndicat étudiant Unef, s’exprime à la télévision sur… tout le monde a oublié quoi, l’attention générale étant immédiatement focalisée sur son voile islamique. Aussitôt certains s’enflamment, ou plutôt enflamment la Toile : ça y est, le syndicalisme estudiantin est noyauté, pire phagocyté, par l’islamisme politique – qui après Mennel viendrait de se trouver une nouvelle Jeanne d’Arc à l’envers.

La voilà dénoncée comme prosélyte et propagandiste, sans que ses accusateurs aient une seconde le scrupule d’aller vérifier à qui exactement ils ont affaire. Si l’habit n’a jamais fait le moine, le voile fait la radicale. On juge sur les apparences, on condamne sur la foi d’un bout de tissu. Avec une telle outrance et véhémence qu’inévitablement les musulmans se sentent une fois de plus stigmatisés et rejetés. Avec une telle violence qu’inévitablement les esprits des uns et des autres s’échauffent encore plus. L’hystérie générale menace.

Combien de temps encore allons-nous supporter la folie furieuse de ces pyromanes qui jettent en permanence de l’huile sur le sujet si inflammable de l’islam ? Ne voyons-nous pas aujourd’hui la menace que représentent, pour la paix civile de notre pays, toutes celles et ceux qui hurlent à la mort de la laïcité et de la République dès qu’un voile ou un burkini surgit là où on ne l’attend pas ? Ne serait-il pas temps que nous reprenions collectivement notre sang-froid, en ne confondant pas tout, en retrouvant un peu de discernement ?

L’impudeur paradoxale du voile

Le problème est toutefois encore aggravé par un islam qui donne trop régulièrement le bâton pour se faire battre. Restons sur le cas de cette jeune femme. Elle explique benoîtement que son voile « n’a aucune fonction politique ». Soit, mais alors pourquoi l’arbore-t-elle, au point qu’on ne voit que lui, au moment même où elle est en train de délivrer une parole politique en tant que responsable de l’Unef ? Elle ajoute que ce voile est seulement une expression de sa foi. Où on en revient à la foi d’un bout de tissu.

Qu’il me soit permis de lui rappeler, sans paternalisme ni condescendance, qu’en islam et dans toute autre spiritualité la foi ne se porte pas au-dehors mais au-dedans, et qu’elle s’affiche d’autant plus à l’extérieur qu’elle a du mal à s’ancrer à l’intérieur. Al imân, la foi en islam, n’a strictement rien à faire du vêtement, elle est l’affaire du cœur, et de l’intime de la relation à Dieu.

Que penser donc de cette impudeur paradoxale du voile, qui prétend cacher en montrant ostensiblement qui on est ? Que penser, plus largement, de toutes ces revendications publiques du religieux, qui font de la vie spirituelle tout autre chose qu’une réalité spirituelle ? Un individualisme de plus, un manifeste politique, etc.

Il faudra bien que l’islam soit capable un jour d’autocritique vis-à-vis de ses néoconservateurs, qui exhibent sans arrêt leur appartenance religieuse comme l’étendard de leur ego. »

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